Normalement quand tu entres en deuxième année de médecine tu es censée être HEU-REUSE.
Tu viens de passer un (ou deux) ans à bosser comme une folle pour passer un concours difficile.
Tu as réussi, tu as trois mois de vacances devant toi, une belle carrière qui s’ouvre à toi, une vraie vie étudiante.
D’ailleurs tu ouvres un blog, histoire de partager tes futures découvertes avec ceux qui voudront bien les lire.
Bref, en un mot comme en cent tu as TOUT pour être dans une période de douce euphorie. D’ailleurs c’est l’état d’esprit de tout tes nouveaux compagnons de promotion.
Alors pourquoi ce n’est pas ton cas ?
Drôle de question sans réponse. Peut-être que doucement, tout doucement, tu commences à te rendre compte qu’être médecin, c’est peut-être pas tout à fait comme tu l’imaginais.
Après avoir stressé comme une folle tout l’été en pensant à ton premier stage par peur de ne pas être à la hauteur, tu y es enfin : en blouse dans ton service à te présenter à tout le staff. Tu es tellement stressée que tu en bégayerais presque et qu’au final tu es bien loin de profiter de ce moment dont tu as tellement rêvé.
Et puis au fil des jours tu finis par comprendre comment le service fonctionne, par faire (un peu) tes preuves, par te sentir utile. Tu t’intègres peu à peu et tu vois, pleine d’admiration, tous ces gens se démener pour améliorer autant qu’ils le peuvent la vie de « nos » petits patients.
Il faut dire que tu n’es pas tombée dans un stage facile, mais c’est peut-être ce qui amène cette ambiance de coopération entre toutes les branches qui travaillent ici : médecins, infirmiers, auxiliaires de puériculture, aide-soignants, agents de service… Tout le monde participe activement et du mieux possible. Et ça te semble tellement merveilleux.
Tu n’as pas beaucoup l’occasion d’être avec les médecins mais tu les observes, de loin : ils sont là tous les jours à essayer de trouver la meilleure solution pour leurs patients, à recevoir des parents inquiets, à réfléchir encore et encore sans jamais compter leurs heures.
Pleine d’admiration, tu regardes et tu apprends. Tout ce qu’on daigne te montrer, tu le retiens avec l’avidité d’une passionnée. A la fin de ton stage, tu es épuisée mais soulagée : ce métier est dur, c’est vrai, mais il est magnifique. Tu es rassurée dans ton choix et tu te sens enfin vraiment heureuse d’avoir choisi cette voie.
Insatiable, tu essayes de parfaire tes connaissances. Tu lis des blogs de médecins, d’internes, de sage-femmes, d’infirmiers… Tout ce qui te tombes sous la min, tu le lis et t’en imprègne afin d’apprendre et de comprendre, afin de réfléchir aux problèmes posés, de te forger tes propres opinion, et peut-être avec un peu de chance, d’éviter de commettre certaines erreurs ou maladresse face à tes futurs patients.
Tu fais de ton mieux, et pourtant peu à peu tu déchantes.
Sur internet, partout, tu ne vois presque que des critiques.
Des sage-femmes qui pensent que les gynéco-obstétriciens sont des incapables, tous juste bons à servir en cas de pathologie. Des femmes qui approuvent à grand renforts de « Je déteste les gynécos ! » (pas « mon » mais bien « les » !).
Alors c’est vrai, des médecins stupides tu sais qu’il y en a un certain nombre. D’ailleurs tu as déjà eu l’occasion d’avoir à faire à certains d’entre eux, en tant que patiente. Mais tu sais aussi qu’il en existe d’autres, une majorité, qui donneraient tout pour pouvoir aider un peu leurs patients, pour les soulager, les réconforter, les soigner.
Tu lis, pleine d’envie de comprendre pourquoi ces femmes réagissent si fort. Mais tu ne comprend pas.
Car tu as le plus souvent le même ressenti que la plupart d’entre elles. Et sans partager l’avis de toutes les autres, tu es presque toujours en mesure de les comprendre. Cela nécessite quelques efforts parfois, c’est vrai.
Alors où est le problème ?
Tous te paraissent tellement catégoriques, tellement inébranlables…
Et il y a si peu de gens pour tenter de les raisonner un peu, de leur dire que tout le monde n’est pas pareil, et qu’a fortiori c’est vrai aussi pour les médecins.
Tu n’as pas commencé à apprendre ton métier que déjà tu es détestée par des gens qui ne te connaissent pas.
Tu n’as même pas vingt ans et tu dois déjà faire face à des préjugés qui te paraissent insurmontables.
Tu ne comprends pas, et quelque part au fond de toi tu te sens trahie.
Alors, tout bas, comme une prière muette, tu fais le voeu de réussir un jour à valoir mieux que ça.
Mais jour après le blog reste vide, reflet d’une douloureuse désillusion.